Ma vision politique

La poli­tique, ou l’art de gou­vern­er la cité, est un sujet qui de nos jours sus­cite à la fois l’intérêt, les pas­sions et la méfi­ance. Elle con­cerne tout le monde, aus­si bien dans le sens de chaque indi­vidu que dans celui de la col­lec­tiv­ité. La poli­tique organ­ise la vie en société, les rap­ports entre les citoyens et entre ceux-ci et l’autorité. Elle vise à établir et à préserv­er l’harmonie, la paix et l’équilibre entre les dif­férentes com­posantes d’une com­mu­nauté et par rap­port au monde extérieur. Dans un régime démoc­ra­tique, dans un État de droit, la poli­tique traduit en actes la volon­té, durant un inter­valle pré­cis, de la majorité d’une pop­u­la­tion vivant sur un ter­ri­toire don­né. Il s’agit d’un man­dat con­fié par le corps élec­toral pour une durée déter­minée, don­nant au man­dataire le pou­voir de gou­vern­er, de manier les instru­ments insti­tu­tion­nels et les ressources dont la col­lec­tiv­ité dis­pose, pour la réal­i­sa­tion du pro­gramme sur base duquel il a été élu. Il s’agit d’une respon­s­abil­ité impor­tante qui demande un investisse­ment total de celui ou celle qui assume ce man­dat, qui détient ce pou­voir. L’objectif de toute per­son­ne qui se lance en poli­tique est d’obtenir une par­celle de ce pou­voir et de l’utiliser pour met­tre en œuvre ses pro­jets, pour don­ner corps à sa vision d’un monde idéal.

Le pou­voir, comme l’argent et le sexe, fait l’objet d’une fas­ci­na­tion par­fois débridée et de luttes acharnées pour en être investi. Il s’agit cepen­dant d’une chose noble, per­me­t­tant à celui ou celle qui l’utilise avec sagesse et dis­cerne­ment, de créer les con­di­tions d’une har­monie et d’un bien-être dans la société, ou encore de com­bat­tre la pau­vreté et l’infortune, d’éviter l’instabilité et le chaos. De nos jours, la poli­tique a sou­vent mau­vaise presse. L’opinion publique fait peu con­fi­ance à la classe poli­tique. Promess­es élec­torales non tenues, scan­dales de cor­rup­tion, cumul de man­dats, trac­ta­tions dou­teuses, luttes intestines et trahisons défrayent la chronique depuis des décen­nies et lais­sent une bien pau­vre image à cet art de gou­vern­er qui devrait nor­male­ment mérit­er estime et respect.

Je suis néan­moins con­va­in­cu que la poli­tique, cer­taine­ment au niveau local, peut réelle­ment con­tribuer au bien-être de nos conci­toyens par les effets mul­ti­pli­ca­teurs qu’elle donne aux actes posés et aux déci­sions pris­es par des man­dataires soucieux de leur intégrité. Le prob­lème est que, bien qu’en général les can­di­dats à la car­rière poli­tique sont au départ motivés par l’idéal d’améliorer les con­di­tions d’existence de leurs conci­toyens, il se fait que le chemin qui mène à l’obtention du pou­voir poli­tique est parsemé de pièges. Si l’on y prend garde, c’est à dire si l’on ne développe pas la capac­ité de se remet­tre en ques­tion, il est presque cer­tain que l’on tombe dans ces pièges et qu’au fur et à mesure que l’on pro­gresse dans la con­quête du pou­voir, l’idéalisme du départ s’estompe jusqu’au point que l’ivresse du pou­voir fait oubli­er l’engagement altru­iste qui un jour moti­va la déci­sion d’entrer en poli­tique. Par­mi les prin­ci­paux pièges l’on peut citer l’orgueil et le nar­cis­sisme, la haine et la colère, la jalousie, la cupid­ité et la bêtise ou la con­fu­sion.

J’ai con­sacré quelques années à écrire un livre à ce sujet, et plus par­ti­c­ulière­ment à la ques­tion de savoir si l’exercice du pou­voir con­stitue un obsta­cle à l’épanouissement spir­ituel ou si au con­traire cela peut en devenir un moteur. J’y analyse le par­cours de celui ou celle qui s’aventure dans l’arène de la poli­tique et qui en gravis­sant les éch­e­lons du pou­voir se voit con­fron­té à ces dif­férents pièges. Dému­ni des instru­ments pour y faire face, ce que notre édu­ca­tion ne nous four­nit en général que très par­tielle­ment, il est très dif­fi­cile de ne pas tomber dans l’un ou l’autre de ces pièges. Dans ce livre j’analyse les émo­tions per­tur­ba­tri­ces qui sont à la base des pièges sus­men­tion­nés et je tente de don­ner des anti­dotes que je puise dans les sys­tèmes de sagesse tels que la philoso­phie boud­dhiste, mais qui se retrou­vent égale­ment dans d’autres dis­ci­plines. J’attends la pub­li­ca­tion pour l’automne 2018.

Pour la mise en œuvre de la vision que j’ai de la poli­tique, je réfère aux com­men­taires que je faits sur mon action dans les dif­férents échev­inats que vous trou­verez ailleurs dans ce site. Pour com­menter ma vision de la cul­ture, qui est l’une des attri­bu­tions dont je suis chargées depuis 2011, je repro­duis une par­tie de la con­férence que j’ai don­née au début de mon man­dat, et dont vous trou­verez le texte inté­gral ailleurs dans ce site, et qui me sem­ble tou­jours d’actualité :

Je m’interroge par­ti­c­ulière­ment sur la notion même de cul­ture aujourd’hui, dans ce monde en crise, et, plus par­ti­c­ulière­ment sur ce qui serait la vision d’une cul­ture de gauche. Une cul­ture de gauche qui serait à mes yeux, une cul­ture de la dif­férence, une cul­ture de la sin­gu­lar­ité et de l’altérité.

On peut not­er l’absence ou la qua­si absence du thème de la cul­ture dans le débat poli­tique, et pas seule­ment à droite ou en Bel­gique mais aus­si à un niveau plus large et européen.

La cul­ture, même si elle s’inscrit aujourd’hui aus­si dans un champ économique, ne peut pas se réduire à une marchan­dise. Aujourd’hui et sans doute demain, le con­cept d’industrie cul­turelle rem­place la notion de cul­ture comme nous l’avons con­nu et défendu. De plus en plus la cul­ture est devenu :

-  Une « cul­ture spec­ta­cle », voire aujourd’hui de « ‘l’hyper spec­ta­cle » ! On demande aux opéra­teurs cul­turels de touch­er le plus grand nom­bre, on met l’accent prin­ci­pale­ment sur la quan­tité de spec­ta­teurs mais pas néces­saire­ment sur la qual­ité de ce qui leur est pro­posé ou sur l’impact pro­fond que l’œuvre artis­tique quelle qu’elle soit peut avoir à plus long terme sur le spec­ta­teur…

- La cul­ture est devenu une « cul­ture-con­som­ma­tion », une cul­ture qui s’achète, se vend, une cul­ture du pro­duit, en lien avec une « cul­ture de la rentabil­ité » et du « résul­tat ».

-  Face à cette vision de la cul­ture libérale, nous devons pou­voir pro­pos­er un autre mod­èle qui ne peut plus être celui hérité de mai 68 et de ses enseigne­ments, de ses con­séquences ou de ses utopies..

-  Après qu’on ait con­nu une « décen­tral­i­sa­tion », aujourd’hui on peut observ­er une forme de recen­tral­i­sa­tion de la cul­ture sou­vent pour des raisons d’économie d’échelle. De plus en plus, par­fois de manière for­cée, des struc­tures cul­turelles publiques se regroupent autour des plus gross­es et des plus dotées. Ceci men­ace l’existence même, déjà frag­ilisée, des asso­ci­a­tions et des petites struc­tures plus indépen­dantes, alter­na­tives, prospec­tives…

Cela revient con­crète­ment et pro­fondé­ment à sup­primer la dif­férence, la sin­gu­lar­ité et à pro­duire une forme de cul­ture «glob­ale » con­forme à une société et une économie glob­al­isée de « pen­sée unique ». Il nous revient à nous social­istes et per­son­nes dites de « gauche » à défendre la cul­ture de la dif­férence, de l’altérité et donc une cer­taine cul­ture de la résis­tance. La résis­tance à un mod­èle de la con­som­ma­tion et du cap­i­tal­isme vieil­lis­sant qui men­ace forte­ment la cul­ture qui est plurielle, qui men­ace l’art et les artistes qui eux aus­si sont vic­times de ce sys­tème.

Aujourd’hui on ne peut détach­er la crise économique de plus en plus aigüe d’une crise de la cul­ture. Il faut penser ou plutôt repenser le rôle du monde de la cul­ture égale­ment dans ce monde économique en pleine muta­tion, dans lequel la cul­ture a une fonc­tion impor­tante mais dans lequel il ne faut pas non plus l’enfermer. Depuis tou­jours, la cul­ture a une fonc­tion sociale impor­tante, essen­tielle. Par exem­ple, on voit bien au Moyen Age et plus tard le lien entre la pein­ture et les reli­gions ou entre l’art et le pou­voir religieux, ou encore l’art mon­u­men­tal et archi­tec­tur­al instru­men­tal­isé pour glo­ri­fi­er les exploits guer­ri­ers ou les régimes total­i­taires encore aujourd’hui.

Pour ter­min­er, il faut bien dis­tinguer « l’industrie cul­turelle » de la cul­ture artis­tique. La cul­ture artis­tique serait pour nous une cul­ture non plus du con­som­ma­teur mais du pro­duc­teur, de l’amateur (ama­teur au sens d’aimer et de pass­er du temps à partager sa pas­sion, sans souci par­ti­c­uli­er de rentabil­ité). Il s’agit d’une cul­ture, bien sûr et plus que jamais, acces­si­ble à tous mais sans niv­elle­ment par le bas, une cul­ture des cul­tures, pluri et inter­cul­turelle, pluri et inter­dis­ci­plinaire, une cul­ture aujourd’hui hybride en mou­ve­ment, en muta­tion, qui intè­gre égale­ment d’autres pra­tiques, d’autres tech­nolo­gies (notam­ment numériques), d’autres langages…et c’est en cela que les artistes d’aujourd’hui et plus générale­ment la cul­ture d’aujourd’hui et de demain s’enrichit et nous enri­chit, non pas seule­ment en terme économique mais plus essen­tielle­ment, en terme sym­bol­ique, poé­tique, esthé­tique, artis­tique et poli­tique aus­si.”